INTRODUCTION
LA LIMINALITÉ
ET LE PROPOS DE
NOMAN'SLAND

Le concept de « liminalité », proposé au début du XX siècle par A. Van Gennep, permet de saisir la portée symbolique des rites d'initiation des sociétés préindustrielles. Ces rites sont célébrés lorsque les individus changent de statut social, et comportent un épisode qui s’apparente au franchissement d’un seuil. Durant cette étape transitoire, la fameuse phase liminale, l’initié subit une purification qui le prive provisoirement d’identité: il n'est plus celui qu'il était, et n'est pas encore celui qu'il sera.


L’anthropologue Victor Turner (1920-83) a consacré ensuite la plus grande partie de ses travaux à la liminalité. Il va l’affranchir progressivement de son contexte initial pour lui accorder une autonomie conceptuelle.


Depuis, les spécialistes utilisent ce concept pour sa notion “d’entre deux”, son “Betwixt-and-Between”, mais sans accorder suffisamment d'importance à la violence intrinsèque qui l'accompagne. Or, durant la phase de liminalité, l’individu est isolé, soumis à des privations et à des tortures qui le déshumanisent, qui le réduisent en quelque sorte à une matière première, dans le but d'accentuer la mort symbolique qu’il expérimente avant de "renaître" (dans de nombreux rites africains de puberté par exemple, cette phase culmine avec la circoncision de l’enfant). Il n’y a, pour ainsi dire, pas de liminalité sans violence, « l’entre deux » ne suffit pas.


Une liminalité permanente est donc une façon de décrire une marginalisation stagnée. Elle peut s’appliquer à différents problèmes actuels, tels que les migrations, l’exploitation ouvrière, l’exclusion sociale, la torture politique, la dépression dans les sociétés de rendement, et, en général, à toute situation marquée par une perte violente d’identité et de droits


L'exposition No man's Land réflechit sur cette violente perte d'identité - thème abordé aussi bien par la liminalité que par l'art performance- et reflète le climat d'insécurité palpable dans un Mexique dévasté par la barbarie de son capitalisme gore. A une plus grande échelle, No man’s land questionne la relation de l’individu contemporain avec le Monde, en décrivant une humanité en pleine crise ontologique. L’homme est présenté ici comme un objet, isolé dans des déserts urbains démythifiés, dans des conditions de vie que l’on peut donc qualifier de liminales.

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LA MUSÉO
LOGIE

La série est composée de 13 photographies analogiques. Les impressions ont été réalisées à partir du scan des négatifs endommagés.

                                

La série comporte des paysages urbains des villes de Boulogne-sur-mer, de Dublin et de Mexico.


Les portraits des “martyres liminaux” ont été photographiés dans les villes mexicaines de Querétaro et de Celaya, à la manière de microperformances, avec l’intention préméditée d’envahir des lieux publiques sans le consentement des autorités.

                        

Afin d’accentuer le caractère liminal des corps, j’ai récupéré, en plus de la nudité et de l’isolement, deux codes de la narcoviolence: les sacs de poubelle noirs que les narcos utilisent pour couvrir les visages de leurs otages, et les bandes adhésifs grises avec lesquelles ils les ligotent.


La muséographie du projet se veut austère. Les photographies de 27x17 pouces sont exposées sans cadre, placées derrière une glace visée directement sur le mur. Elles dialoguent avec 5 textes de salle qui abordent chacun à sa manière le concept de la liminalité.


Le projet compte également un fond sonore strident mixée avec les dernières paroles prononcées par un narcotrafiquant mexicain à l’un de ses otages avant son exécution.


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TEXTES DE SALLE

TONNEAUX D’ACIDE. Isolement, tortures, mutilations... Le propos de la cruauté des rites de passage a toujours été de dissoudre l’identité de l’initié, de le « tuer » afin qu’il renaisse purifié. C'est le cas des futurs chamans sibériens qui, durant leurs visions initiatiques, rêvent de démons qui les démembrent et qui raclent leur chair jusqu’à l’os, afin d’anéantir leur condition profane. Cette difficile transition d’une vie à l’autre est appelée « phase liminale ».


SACS DE POUBELLE NOIRS. Mais un individu en situation de liminalité permanente reste prisonnier dans cette phase chaotique. Exilé en marge du Monde, il migre sans fin le long d’un seuil au mur infranchissable, à la merci d’une violence souvent brutale, voir gore. Dépouillé, le sujet liminal est alors traité comme un spectre, il n’a plus de nom et encore moins de passeport, il est une sorte de hiatus, les pieds en enfer et la tête dans les vertigineuses ténèbres d’un sac d’exécution.  

 
Dans le film “Johnny got his gun” (1971), un soldat anonyme, touché par un obus, termine sourd-muet, aveugle, et amputé de ces quatre membres. Maintenu néanmoins artificiellement en vie dans un hôpital, il perd lentement la raison, piégé dans ses propres entrailles, atteignant ainsi le paroxysme de la claustrophobie liminale.

LA FIN DES TEMPS. Convaincus de l’imminence du jugement final, les anachorètes du IV siècle se sont terrés dans les déserts égyptiens pour livrer un pénible combat spirituel. Pour réunir les conditions infrahumaines nécessaires au sacrifice de leur chair méprisée, ces ascètes chrétiens se sont isolés dans des tombeaux, des grottes ou dans le creux des arbres, et cela pendant des années, voir des décennies. Ils jeûnaient et se privaient du sommeil trompeur, et se résignaient à se nourrir en rares occasion de lentilles humides. En guise de pénitence, ils traînaient des heures entières des pierres sous un soleil de plomb, ou se laissaient dévorer par les guêpes, pendant que d'autres réintroduisaient les vers dans les plaies de leur corps gangrené. Clairement à la frontière de l’abjecte et du sublime, ces hommes ont basculé dans une liminalité permanente d’une perversion inouïe, dans l’espoir de franchir le seuil du royaume divin affranchis de leur nature humaine.

UN MONDE-SEUIL. Dans son essai “la société de la fatigue”, le philosophe Byung-chul Hang décrit une société dominée par l’impératif de rendement, dont les membres s’exploitent eux-mêmes jusqu’à l’épuisement, bourreaux et martyres à la fois. L’univers de Byung-chul est peuplé de névrosés hyperactifs tourmentés par l’échec et la dépression, réduit à des machines sans âme, que le propre philosophe qualifiés par le philosophe de « morts-vivants ». L’hyperactivité et l’hystérie du travail semblent les seules réponses face à ce monde désacralisé, éphémère, absurde, cruel, coûteux, et même répugné, qui n’offre rien d’autre qu’une existence “nue”. Les “non-êtres”, souffrant d’une carence ontologique, traversent alors le néant comme des dératés, dévorés par leur condition de simple chair à canon.


UN MIROIR DE BRIQUES NOIRES. Livide, taciturne, se nourrissant exclusivement de biscuits au gingembre, Bartleby, le personnage du roman éponyme d’Herman Melville, est un copiste irréprochable d’un cabinet d’avocat de Wall-Street, jusqu’au jour où, pour d'obscures raisons , il refuse de travailler, préférant consacrer ses journées à contempler un mur de briques noires depuis la fenêtre de son bureau. Il sombre alors dans une liminalité permanente au point d’incarner le chaos en personne; invisible et magnétique à la fois, sa présence désoriente et perturbe son entourage à la manière d’un trou noir. Décrit par Roberto Bolaños comme « L’exilé absolu », et comme « l’homme instantané » par Deleuze, Bartleby s’apparente à un seuil qui mènerait directement à l’abîme. Il déclare peu de temps avant de mourir d’inanition: “Je sais très bien où je me trouve”… NO MAN’S LAND.

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ORIGINE
DU PROJET

En fixant sans relâche cet abîme de briques noires, cet homme barbouillait un amer et interminable soliloque entre chaque bouffée de cigarette. Son corps raide et disloqué enchainait une série de postures saccadées. C'était une scène déconcertante, proche d'une danse butô. Et puis soudainement, comme un tonnerre dans un asile psychiatrique, il s'est mis à fustiger les passants, hurlant pendant plusieurs minutes une accusation sibylline et tranchante, là, suspendu entre le chaos et la Terre. Toutes les horreurs gravées dans ma mémoire ont foudroyé mon esprit en un instant. Je venais d'être frappé de plein fouet par le dégoût viscéral et insoutenable du monde.

expo nomansland image
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ENTRE DEUX
RIVIERES
DE FEU

"On raconte que Macaire, marchant une fois dans la montagne, vit une tète de mort gisant au sol ; il la remua et celle-ci lui parla. Le vieillard lui demanda alors : "Es-tu dans le repos ou dans la souffrance ?" Le crâne lui dit : "Je suis dans les tourments." Le vieillard lui dit : "De quelle sorte est ton tourment ?" Le crâne lui dit : Il y a un fleuve de feu qui bouillonne au-dessus de nos têtes et en dessous de nous, élevant ses flots sous nos pieds ; nous nous tenons au milieu, sans que notre visage ne voie d'autres visages, mais nos dos respectifs sont unis les uns aux autres. Quand une prière nous est adressée, un peu de soulagement nous est donné." Le vieillard lui dit : "Quel soulagement ?" Le crâne lui dit : "le temps d'un clin d'œil, nous voyons le visage des autres."
Les hommes ivres de dieu” de Jacques Lacarrière.
.$alt.

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LA CANNIBALE ÉCONOMIE
DES CHOSES

La haine grandit sur le front de mon voisin de palier comme une épine de crack / Le corps de L’homme calciné s'éteint dans un terrain vague de Sinaloa / La pluie baptise sur le trottoir le cadavre du jeune Chiquilín tout juste poignardé /Dans la colline l’endocannibale gratte l’os congénère /Deux mouches copulent sur une assiette d’unicel /La triple pénétration anale d’Adriana Chechik réveille ma faim incommensurable /Chétive, c’est ainsi qu’œuvre la cannibale économie des choses.

FOUCAULT

“Nous supportons le pouvoir parce qu'il nous traverse de tout un tas de manières. Jusqu’à un certains point, le pouvoir nous produit .”
Michel Foucault, émission de radio “Une après-midi France culture” de 1977.

PHOTOGRAPHIES
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Homme perturbé.. / Dublín./ 2015. / análoga
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Sujet liminal n°1.. / Querétaro./ 2016. / análoga
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Monticule de verre.. / Boulogne-sur-mer./ 2015. / análoga
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Déchetterie. / Boulogne-sur-mer./ 2015. / análoga
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Sujet liminal n°2.. / Querétaro./ 2016. / análoga
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Bartleby.. / Dublín./ 2015. / análoga
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La société de la fatigue . / CDMX./ 2014. / análoga
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Sujet liminal n°3 . / Querétaro./ 2017. / análoga
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Sujet liminal n°4 . / Celaya./ 2018. / análoga
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Salarié de centre commercial . / Querétaro./ 2017. / análoga
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Sujet liminal n°5 . / Querétaro./ 2017. / análoga
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Sujet liminal n°6 . / Celaya./ 2018. / análoga
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Sujet liminal n°7 . / Querétaro./ 2019. / análoga
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